N°6 Fictions de
l’étranger
276 pages, illustré,
couleur et N&B – 15 € (port compris)
Intégralité du numéro en ligne, voir sommaire ci-dessous.
Pour être douloureusement
efficaces, les idéologies de la discrimination
et du rejet (racisme, antisémitisme,
xénophobie, sexisme, ethnodifférentialisme)
ont besoin d’inventer, de forger et
de désigner un corps « étranger
» à mépriser, exécrer,
écarter ou abattre. Il s’agit
de rendre l’Autre visible afin de déclencher
des réflexes identitaires de méfiance,
de vigilance, de susciter des aversions et
d’entretenir des peurs collectives.
Ainsi les dépréciations, les
haines et les ressentiments se focalisent
et s’hystérisent sur une figure
biologique, un « détail »
corporel indiquant le mauvais objet ou encore
le mal absolu.
Ces morphologies menaçantes, patibulaires
sont des fictions de corps totalement construites,
le fruit d’élucubrations qui
dotent l’Alien d’une apparence
répulsive, tordue vers la négativité
et générant l’effroi ou
l’hilarité. Ces fictions permettent
de figer les différences dans un destin
anatomique que les idées reçues
attribuent à « l’ordre
naturel ». Tous les étrangers,
tous les ennemis, sont alors mis à
la même enseigne corporelle, frappés
du même stigmate diabolique, de la même
étoile. Contre le triomphe du préjugé,
cette livraison de Quasimodo analyse
l’élaboration, la diffusion et
l’utilisation (toujours répressive,
parfois génocidaire) de ces faciès-type.
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Sommaire
Frédéric
Baillette
Jean-Paul Gouteux
David Le Breton
Philippe Liotard
Sander L. Gilman
Fethi Benslama
Sarah D’Haeyer
Esmeralda
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Guy Hocquenghem
Gilles Boëtsch
Pascal Blanchard
et Éric Deroo
Lydie Pearl
Ian Geay
Didier Herlem
Christelle Taraud
Manuela Vicente
Séverine
Mathieu
|
Autres textes disponibles sur le web, pour prolonger la réflexion
Jean-Paul Gouteux
Allen Gutmann
Christelle Taraud
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Dans
la presse
Frédérique
Pascale, Le
Monde de l’Éducation
Septembre 2000
Le racisme est une «
idéologie du corps. Il affirme
la fatalité biologique de différences
physiques, réelles ou imaginaires,
pour justifier de l’inégalité
morale des hommes selon leur appartenance ».
C’est ce qu’écrit
l’anthropologue David Le Breton
dans la revue Quasimodo. Après
le nationalisme dans le sport, les prisons
et le body-art, cette revue transdisciplinaire,
spécialisée dans les études
sur le corps, nous offre avec ces «
fictions de l’étranger » un dossier d’une qualité
rare.
De fait, toutes les logiques
de discrimination fonctionnent sur un
principe simple : rendre l’autre
« visible » – «
en inventant au besoin des signes corporels » – afin d’engendrer
des réflexes identitaires, susciter
des peurs et polariser des haines. On
naturalise toujours pour mieux stigmatiser.
Il suffit pour s’en convaincre
de se tourner vers les représentations
littéraires ou cinématographiques
de l’extraterrestre. Elles «
mettent en scène les désirs
et les angoisses d’une collectivité
», souligne Philippe Liotard.
Quelquefois cependant,
la réalité dépasse
la fiction. Le récit que fait
Frédéric Baillette du
conflit rwandais opposant Tutsis et
Hutus – et qui se sera soldé
par l’extermination de plus de
un million de personnes – sidère.
Nul doute que le « plan insecticide » n’a rien eu à envier
à la « solution finale
». |
Avec
la même rhétorique de la
haine (serpents, rats, cancrelats),
l’ennemi à abattre aura
été désigné
par des indices corporels « semblant
tout droit sortir d’un manuel
d’anthropométrie »,
souligne l’auteur. Incisives écartées,
pomme d’Adam saillante, nez fin,
huit paires de côtes et quelques
autres particularités morphologiques
de ces « nègres blancs » inventés par l’imaginaire
colonial ont ainsi abouti à l’assassinat
non seulement de Tutsis, mais d’un
certain nombre de Hutus et d’Africains
de passage. Au point que certains Hutus,
apprend-on, élargissaient leurs
narines avec du coton pour éviter
d’être tués.
On comprend, dans ces conditions,
qu’il n’est pas sans danger
de recourir à des catégorisations
raciales, fût-ce pour célébrer
un football black-blanc-beur. Car, à
ethniciser les différences, «
on place l’autre dans un rapport
d’étrangeté. L’invitation
à s’intégrer sonne
alors comme une injonction paradoxale ».
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La revue Quasimodo poursuit
une passionnante réflexion interdisciplinaire
sur le corps comme enjeu social et politique.
La livraison du printemps 2000 est consacrée
à ce que Michel de Certeau a
appelé les fictions du corps.
Il s’agit d’analyser la
manière dont les pouvoirs, les
sciences et la culture de masse fabriquent
des « figures » ou des «
faciès types », qui ont
pour effet et souvent pour but de susciter
et d’entretenir des peurs ou des
haines collectives. Les idéologies
de la discrimination et du rejet (que
ce soit le racisme, l’antisémitisme,
la xénophobie, le sexisme, etc.)
ont en effet besoin de souligner ou
parfois d’inventer des stigmates
physiques, permettant à la fois
d’identifier les « mauvais
sujets » et de justifier leur
mise à l’écart,
sous tutelle ou parfois même à
mort. Les dix-neuf contributions rassemblées
dans ce volume s’interrogent sur
l’élaboration, la diffusion
et l’utilisation de ces fictions
de corps : qui les construit, de quelle
manière, comment s’organise
leur transmission, quels sont leurs
effets ? Elles comprennent d’intéressantes
études sur les figures du juif,
du gitan, de la femme et du malade du
sida.
Il est dommage, toutefois
qu’aucun article ne soit consacré
aux nombreux discours sur le « corps nègre » au temps
de l’esclavage ; mais cette omission
ne fait que refléter une lacune
plus grande des sciences humaines sur
cet épisode de l’histoire.
Il est regrettable aussi, mais plus
surprenant, qu’aucun article ne
soit consacré spécifiquement
au discours médical et policier
sur les homosexuels. Bienvenue est en
revanche l’importante place faite
à l’imaginaire colonial,
étant donné le rôle
qu’il a joué et continue
de jouer dans la production du racisme
en France. Des articles, parmi les plus
intéressants de la revue, sont
ainsi consacrés à l’illustration
populaire, au mythe du tirailleur sénégalais
et au fantasme de la prostituée
indigène, ainsi qu’à
la persistance de l’imaginaire
colonial dans les commentaires sportifs.
Il faut enfin signaler deux remarquables
analyses , très documentées,
sur la préparation et l’accompagnement
idéologique du génocide
rwandais, dues à Jean-Paul Gouteux
et à Frédéric Baillette. |
Au-delà de leur
diversité, ces études
ont en commun un grand mérite
: elles apportent un démenti
à l’idée reçue
selon laquelle la « peur de l’autre » n’est qu’un mécanisme
naturel. Chacun des articles montre
en effet, exemples édifiants
à l’appui, que cette peur
est toujours produite, et que cette
production repose sur une prolifération
d’artefacts culturels (images
et discours). Une lecture qui se recommande
à tous ceux voulant comprendre,
pour les combattre, les ressorts de
l’exclusion et de la violence
politique.
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« L’histoire
de ceux et celles qui ne se sont pas
laissé abrutir par un matraquage
d’idéologie haineuse, qui
ont gardé leur lucidité,
reste à faire… ».
Si l’histoire des autres, impliqués
dans le génocide rwandais, était
déjà dite, il revient
à Frédéric Baillette
le mérite d’en avoir fait
une synthèse remarquable qu’il
nous restitue problématisée
autour de la notion de corps. Il démontre
ainsi avec une redoutable efficacité
comment la haine de l’autre naît
dans et par le corps, qui devient celui
que l’on doit abattre à
cause de son nez fin, ses incisives
écartées ou son regard
empli de morgue… Un génocide
ne provient pas d’une quelconque
animalité humaine, il est avant
tout instrumentalisé, produit
d’une idéologie. Avant
de devenir monstruosité, la haine
se cultive patiemment et méticuleusement
dans les corps que l’on stigmatise,
que l’on « ethnicise »,
que l’on « infernalise »…
Entre avril et juillet 1994, cinq cent
mille à un million d’êtres
humains ont été exterminés
suivant une logique raciste.
Revenir sur le génocide rwandais
pour inaugurer une réflexion
sur le corps est une attitude qui ne
manque pas de courage politique. Certains
auraient sans doute préféré
gloser sur les représentations
du corps dans l’art africain,
d’autres s’intéresser
à la philosophie du corps des
jésuites au XIXe siècle,
beaucoup se contentent de l’analyse
sage et théorique de bureau.
L’entrée en matière
mérite donc d’être
saluée. D’autant que le
rythme impulsé par Frédéric
Baillette est soutenu dans la suite
de l’ouvrage, qui aborde de multiples
facettes de la construction idéologique
des corps, c’est-à-dire
des fictions de corps construites pour
exclure l’étranger.
Ainsi en va-t-il du nez
juif, du corps de l’indigène
dans l’illustration populaire,
du « bon noir » dans les
représentations du tirailleur
sénégalais ou de la prostituée
dans l’empire colonial. Histoire
ancienne me direz-vous, représentations
construites par un passé dont
nos sociétés démocratiques
ont su se défaire… Certes.
Le malaise devient plus grand quand
on s’aperçoit que le recours
à des catégorisations
raciales fonctionne encore aujourd’hui,
ne serait-ce que pour célébrer
le football black-blanc-beur de la coupe
du monde, mais aussi pour stigmatiser
les personnes séropositives et,
plus inquiétant encore, pour
produire des discours législatifs
et encyclopédiques contemporains.
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Cette grille de lecture
peut même fonctionner dans les
rapports de sexe car l’homme et
la femme aussi peuvent être considérés
comme des étrangers l’un
pour l’autre. Mais si l’étranger
est une figure de l’altérité,
les draculas, robots, cyborgs, et autres
ersatz d’humain en constituent
une autre, dont le caractère
extrême nous permet d’approcher
les fictions normalisantes construites
par nos sociétés à
propos du corps humain. Ainsi qu’on
la perçoive en questionnant nos
représentations des indigènes
ou par l’intermédiaire
de nos fantasmes de science-fiction,
la figure de l’étranger
se construit toujours à partir
d’un corps étrange permettant
« d’exorcicer l’inquiétante
inconnue du corps en lui substituant […] une objectivité fictive.
»
Une fois de plus la qualité de
fond et de forme sont au rendez-vous
de Quasimodo qui poursuit son chemin
en marge des chapelles instituées,
courant la prétentaine dans les
dédales des corps. La précédente
production « Art à contre-corps
» (n°5) ayant déjà
bien fait parler d’elle (une réédition
s’est imposée), nul doute
que celle-ci ne dépareillera
pas dans l’histoire de la revue
que l’on espère très
longue.
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L’image
du corps parle
Ce n’est
pas une revue, c’est
une somme ! Sur des sujets
liés au corps et à
la représentation sociale
du corps, la revue Quasimodo
livre depuis 1996 des études
précises, denses et
remarquablement illustrées.
Avec ce sixième numéro,
la revue montpelliéraine
aborde la « fiction
de l’étranger
». À la représentation
sociale, fantasmée,
politique du corps correspond
une utilisation du langage
qui en dit long sur les arrière-pensées,
les travers d’une société.
En ouvrant ce numéro
par un retour sur le génocide
rwandais (qui extermina hommes,
femmes et enfants en 1994)
Quasimodo dresse un réquisitoire
terrible à l’encontre
de l’Occident et, plus
particulièrement, de
la France, de la Belgique,
de l’église et
de la presse.
Documentée comme ne
le sont jamais les journaux
nationaux, la revue, par l’entremise
de Frédéric
Baillette d’abord et
de Jean-Paul Gouteux ensuite
montre comment le génocide
a été rendu
possible par le colonialisme
et comment il a été
favorisé par les pays
occidentaux. |
Les deux
auteurs (le premier dirige la revue,
le second est entomologiste médical
à l’Université de
Pau) démontent les mécanismes
de représentation liés
au pouvoir qui s’appuient sur
de pseudo recherches scientifiques afin
d’écrire les lois de l’ethnisme.
On reste abasourdi de ce qu’ils
dénoncent (citations à
l’appui) du racisme ordinaire
de nos dirigeants (de Bernard Debré
aux militaires conseillers de Mitterrand).
Le malaise se poursuit durant toute
la lecture de ce numéro d’une
intelligence rare qui aiguise l’esprit.
Fethi Benslama évoque la réécriture
de l’article « migrants» de l’Encyclopoedia Universalis (publié d’abord en 1976
puis en 1995) qui, sous la plume d’Alain
Girard, a introduit le fait qu’il
était « naturel de manifester
de la méfiance » à
l’égard de l’étranger.
Et l’auteur de montrer comment
cette réécriture révèle
l’évolution des thèses
racistes dans notre société.
Du côté de la fiction,
le même mécanisme est à
l’oeuvre dans les romans de science-fiction
décortiqués par Philippe
Liotard qui évoque la nécessité
d’identifier l’autre par
une différence d’abord
physique, sous peine d’avoir à
soupçonner quiconque d’être
un Alien déguisé…
La France multicolore qui gagne la coupe
du monde de foot, chère à
Chirac, offre également un bel
exemple de lapsus raciste : en insistant
sur l’origine de chaque Bleu,
en leur attribuant une étiquette
originelle lutte-t-on vraiment contre
Le Pen ?
Avec ses analyses, son travail monumental,
Quasimodo devrait figurer dans chaque
bibliothèque et librairie de
l’Hexagone. En refuser la diffusion
sonnerait comme une censure.
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